© Flore

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Luc

vendredi 3 février 2023 17:04

Venir là sans rien connaître du lieu, de la ville, à peine un rendez-vous fixé, une adresse, un horaire, la promesse d’un paysage, avant les pages d’un cahier à noircir. J’y suis.

S’enfermer pendant une heure sans rien faire ou pas grand-chose. Debout. Un micro-confinement volontaire. Une forme d’Oulipo…
Rentrer dans la boîte allongée avec vue sur la vallée. Des murs en bois. Pas de chaise. On restera debout. J’adopte une position confortable, bien campé sur mes deux jambes légèrement écartées.
La lecture du paysage s’impose. Le géographe reprend le dessus. D’abord les versants de la vallée couverts de bois, quelques prairies et des maisons en face proches de la ville.
On repère la gare et les voies qui occupent une surface imposante. L’église au centre comme il convient et une tour Eiffel sur la gauche, derrières les voies. Sur les bords de la vallée, les grands bâtiments blancs. Des industries, du stockage, de la logistique sans doute.
Au sommet des collines quelques hameaux, des noyaux villageois, un clocher parfois – j’en ai compté cinq – et de la fumée qui s’échappe d’une cheminée.
Je parle de la gare, mais ce que je repère en premier ce sont quelques moucherons sur la vitre dehors. L’hiver aurait dû les tuer.
En bas, l’habitat est relativement homogène avec quelques extensions plus récentes, vers la droite. La rivière qui coule de gauche à droite est bien sombre. Je n’irai pas m’y baigner.
Je regarde vers le bas de la vitre. À mes pieds le mur du rempart, quelques fougères et succulentes s’accrochent. Sur le versant en contrebas des arbres aux branches recouvertes de lichens et de mousse. C’est humide ici… Vers la droite je regarde les petites maisons qui s’accrochent au sommet de la falaise et j’imagine une soirée d’été entre amis sur la terrasse, face à la vallée.
Avant d’entrer mon hôte m’a signalé que le vieux village perché était le dernier à avoir résisté à Jules César. Ça pose un lieu en majesté.
Au-delà de la rivière mon regard organise une étrange diagonale, un résumé de la vie avec du plus près au plus loin le local de « l’espace jeune », l’église et la mairie proche, que je devine. Plus loin encore le cimetière au flanc de la colline. Belle surface que celle de la ville des morts…
Je m’interroge sur ce point de vue d’en haut, dans une position de « Deus ex Machina ». Le regard du planificateur, la tentation de la maquette. Je pense à mon fils qui aurait aimé le bâtiment, les rails, mais qui n’aurait pas vu beaucoup de trains. Un seul en une heure. Toujours pas compris pourquoi il avait effectué une longue pause sur le pont au-dessus de la rivière…

Les bâtiments me renvoient à la Lorraine, celle des mines, de la sidérurgie. J’imagine la vie qui va avec.

Le soleil couchant s’est accroché un temps à l’église et à la tour Eiffel puis l’ombre a gagné les collines. Les premières lumières qui s’allument sont celles des quais de la gare, l’enseigne de l’hôtel peut-être un peu avant. Avant elles encore, celles en mouvement des voitures qui regagnent la commune et leur domicile.
Serais-je capable de vivre ici ? En bas ? En haut ? Pourquoi pas. Peut-être.
On frappe à la porte. Mon hôte. Je pensais avoir quelques minutes encore. Ça passe vite une heure ! En écrivant je pense encore à cette obsédante odeur de colle et de bois mêlés dans le gîte.

Si j’habitais ici je proposerais bien une veille depuis chaque maison du bas, vers le haut. On me dit qu’il ne fallait pas dépasser une page. Trop tard ! C’était bien !